CAMEROUN
La situation est préoccupante au Cameroun. Les cas des enfants sans acte de naissance entrainent des conséquences socio-culturelles importantes. Non seulement les concernés n’ont véritablement pas d’identité mais encore ils ne peuvent aspirer à aucun service public, aucune insertion sociale et ne peut pas faire valoir leurs droits. La Banque Mondiale a produit un rapport qui appelle à un sursaut d’orgueil afin de sortir des bureaux pour descendre sur le terrain.
Une mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a été reçue ce lundi 15 juillet 2024 par le Directeur Général du BUNEC dans le cadre du lancement du Projet d’établissement hors délai des actes de naissance des enfants. Ledit projet a été officiellement lancé le 17 juillet dans la ville de Maroua. Il vise à l’établissement, selon la procédure de jugement supplétif, d’établir près de 21 800 actes de naissance au cours de la période 2024-2025, soit 3 000 actes de naissance pour la phase pilote prévue en 2024 et 18 800 actes de naissance pour la phase 2 envisagée pour 2025, afin de favoriser l’inclusion sociale des bénéficiaires et organiser des campagnes de sensibilisation sur l’importance des déclarations des naissances dans la perspective de juguler ce phénomène. L’ampleur du phénomène des enfants sans actes de naissances au Cameroun ne laisse pas indifférent. Selon les derniers statistiques publiés début 2024 par la Banque Mondiale sur les enfants scolarisés dépourvus de ce sésame, il ressort que plus de 1,67 million d’élèves n’ont pas d’acte de naissance, soit environ 29 % de l’ensemble des enfants scolarisés. Le problème est plus prononcé au niveau primaire avec 30,1 % alors qu’au niveau préscolaire il est de 11 %. Par ailleurs, dans les zones rurales et les zones d'éducation prioritaires, près de la moitié des enfants soit 47,1 % n'en ont pas, ce qui représente une proportion alarmante. Les régions du Nord et de l’Extrême-Nord sont les plus concernées avec chacune plus de un million d’enfants concernés.
Des obstacles entravent l'obtention du sésame
Or, la possession d’un acte de naissance est essentielle pour pouvoir s'inscrire dans le secondaire. Ainsi, tous les élèves doivent en avoir un pour pouvoir se présenter à l’examen de fin d’études primaires, qui permet d'obtenir le Certificat d’Etudes Primaires (CEP) dans le système francophone et le First School Living Certificate (FSLC) dans le système anglophone. Sans acte de naissance, les enfants peuvent perdre entre cinq et six années de scolarité parce qu’ils ne peuvent pas se présenter aux examens de CEP/FSLC. Alors que l’achèvement du premier cycle du secondaire est une condition d’insertion dans la vie active. L’absence d’actes de naissance et l'impossibilité qui en résulte de passer les examens contribuent de manière significative à la stagnation du taux d’achèvement des études au Cameroun, malgré les efforts déployés par le gouvernement avec l’appui des partenaires techniques au développement pour résoudre ce problème au cours de la décennie précédente. Créé en 2018, le Ministère de la Décentralisation et du Développement Local (MINDDEVEL) est responsable de l’état civil à l’échelle centrale. Et le Bureau National de l’État Civil (BUNEC), institution nationale subordonnée au MINDDEVEL et établie en 2015, joue un rôle central dans le dispositif institutionnel et la facilitation de la coordination du système d'enregistrement des faits d'état civil. Sur le plan opérationnel, les Communes sont des acteurs incontournables pour la fourniture de services d’état civil au niveau local.
Malheureusement, le système d’état civil se heurte à des difficultés pour enregistrer les naissances et les décès. Seule la moitié des naissances et très peu de décès sont enregistrés. L’absence d’actes de naissance entraîne par la suite l’exclusion de services essentiels tels que l’éducation formelle, les soins de santé, l’obtention d’une Carte Nationale D’Identité (CNI), les privilèges de voyage, le droit de vote ainsi que la capacité à ouvrir un compte bancaire ou acquérir une propriété. Les difficultés d’enregistrement au sein des Communes sont liées au manque d’informations, à l’éloignement des bureaux d’état civil et surtout aux contraintes financières. Pendant que certaines Mairies en font un service gratuit, d’autres en font une source des recettes. Le coût prohibitif de l'enregistrement est un facteur financier dissuasif pour les familles à faible revenu. Rendant ainsi l’obtention d’un acte de naissance une affaire laborieuse. Les Camerounais dépensent entre 11 000 FCFA à 32 700 FCFA pour se faire établir un acte de naissance. Une somme prohibitive dans un pays où le salaire minimum est de 41 875 FCFA et où 25,7 % de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté de 2,15 dollars (environ 1 200 FCFA) en PPA par jour. Cela peut expliquer pourquoi de nombreux enfants ne disposent pas ce document crucial. En plus des coûts financiers, il y a aussi des coûts immatériels. L'inégale répartition des centres d’enregistrement sur le territoire, en particulier dans les zones rurales ou reculées, vient encore exacerber le problème. Il y a aussi, la persistance des disparités entre les sexes : les filles sont moins souvent enregistrées que les garçons, tandis que les mères célibataires sont stigmatisées dans les agences.
Loin des normes de l'ONU
Il est à noter que l’absence d’acte de naissance facilite également les mariages forcés et porte atteinte aux droits des femmes au sein des unions informelles. Une réalité qui appelle à fournir à chaque enfant une pièce d’identité. Le droit à une identité est pourtant rappelé par l’article 7 de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant. La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant contient également des dispositions similaires. L’un des objectifs visé par l’ODD 16.9 prévoit de fournir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement gratuit des naissances d’ici 2030. Surtout que le coût de l’inaction est très élevé. Une note de politique générale du ministère en charge de l’éducation au Cameroun a estimé à près de 2 070 273 de FCFA (environ 3 683 dollars) les pertes de revenu subies par les enfants qui n’ont pas pu composer l’examen de fin d’études primaires parce qu’ils n’avaient pas d’acte de naissance. Les pertes de revenu national qui en découlent pour le Cameroun sur un an représenteraient environ 5,476 milliards de FCFA. Pour aider le gouvernement à s’attaquer à ce problème, une équipe multisectorielle de la Banque mondiale a engagé, en collaboration avec l’UNICEF, un dialogue soutenu sur les politiques au cours des deux dernières années.
Parce qu’il a été donné de constater que les normes recommandées par l’ONU pour les systèmes d’état civil, c’est-à-dire l’enregistrement continu, obligatoire, permanent et universel des données d’état civil, ne sont pas systématiquement remplies au Cameroun. L’absence de numérisation entrave la fonction statistique de l’état civil. Un soutien a été fourni par le biais d’instruments de la Banque mondiale, qui ont permis de mettre à jour la loi sur l’état civil pour permettre la numérisation et la simplification des procédures, d’établir un diagnostic complet assorti de recommandations pour résoudre tous les problèmes d’état civil de manière globale et de fournir des incitations au niveau décentralisé pour accroître l’enregistrement des naissances. A l’instar du processus de modernisation du système d’état civil en 2009 ; le Programme de Réhabilitation de l’état civil (PRE2C) en 2011 ; le Programme d’Appui à la Modernisation de l’état civil (PAMEC) en partenariat avec la République Fédérale d’Allemagne pour la mise en œuvre d’un système fiable de l’état civil et de la statistique démographique qui est en cours; et l’opération spéciale menée du 1er au 30 avril 2024, visant à la délivrance massive d’actes de naissance à tous les élèves qui ne pouvaient se présenter les examens cette année faute d’acte de naissance. Cet ensemble d'actions souligne l’intérêt des approches holistiques qui prennent en compte les différentes dimensions d’un problème et montre l’importance de la collaboration entre différents secteurs pour résoudre des problèmes complexes. Les communes dont au cœur de ces programmes parce qu’ils sont en mesure d’enregistrer toutes les naissances et tous les décès et de partager régulièrement des statistiques démographiques précises avec les ministères. Ce d’autant plus que ce déficit entrave la planification efficace du développement socio-économique, tant à l’échelle locale que nationale.
Mathieu Nathanaël NJOG
Mathieu Nathanaël NJOG
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
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