CICAM
La journée du jeudi 14 mars 2024 a été marquée par un sit-in généralisé de la quasi-totalité des employés de la société Cotonnière Industrielle du Cameroun dans les usines de Douala et de Garoua. Ils disent exprimer leur ras-le-bol devant une situation sociale catastrophique.

La quasi-totalité des 700 employés des usines de Douala-Ndokoti et de Garoua ont paralysé le travail de la société Cotonnière Industrielle du Cameroun (CICAM) pendant toute la journée du jeudi 15 mars 2024. Les employés de ces usines ont unanimement décidé de porter le noir en signe de deuil et de détresse. Elle prenait l’opinion publique nationale et internationale à témoins devant la situation très peu honorable qu’ils traversent depuis 13 mois. «Nous n’avons plus perçu de salaires depuis 13 mois», lancent-ils en chœur. Et de poursuivre : «Nous avons perdu plusieurs collègues qui sont décédés par faute de moyens. Certains ont perdu leur femme ou leur enfant faute de possibilité de survenir aux frais des soins adéquats. Plusieurs d’entre-nous dorment à la belle étoile parce qu’ils ont été expulsés par les bailleurs. Une situation dans laquelle, certains ont en toute impuissance vu leur épouse partir du foyer conjugal». Ne voyant aucune lueur d’espoir poindre à l’horizon, au regard des informations alarmistes des membres du staff management, les employés se sont unanimement décidés de se mettre en noir et comme un seul homme ont décidé de manifester leur désarroi. Malgré les menaces venant de la Direction générale, le déploiement des éléments de la Gendarmerie Nationale et la descente du Sous-Préfet de l’Arrondissement de Douala 5è, Anuafor Cletus Asongwe qui a évoqué la non-déclaration de manifestation publique pour qualifier ce mouvement d’humeur d’illégal, avant d’opter par l’apaisement en engageant des concertations avec d’une part les dirigeants de cette entreprise et d’autre part avec les délégués du personnel.
Une gestion floue
La goutte d’eau de trop tient de ce qu’après une brillante campagne commerciale du pagne de la Journée Internationale de la Femme (JIF) du 8 mars 2024 (principale pourvoyeuse de revenus) qui a généré des bénéfices conséquents ; comme avant elle, la campagne commerciale de la Journée International de l’Enseignant d’octobre 2023 et la campagne commerciale de la célébration de l’anniversaire du parti au pouvoir (LE RDPC) de novembre 2023, il ne se dessinait curieusement aucune perspective de paiement d’un pan de leurs arriérés. Ceci au regard des informations fuitées du staff des dirigeants. En revanche, il se susurrait qu’’une session du Conseil d’administration était en vue dans les jours à venir. «Des assises qui plombent les ressources financières de cette entreprises au regard de l’énorme budget qu’il engloutit», nous confie une source. Pis encore, «Lors des sessions du Conseil d’administration qui tiennent tous les semestres pratiquement, les administrateurs viennent, émargent leurs jetons de présence sans se soucier du sort des ouvriers qui sont le capital humain», confie sous anonymat un employé. Une situation qui a conduit les employés à adresser des correspondances au Gouverneur de la région du Littoral et à l’Inspection du travail qui sont restées sans suite. Déplorant qu’il ne soit pas entretenu un dialogue social au sein de cette entreprise qui traverse depuis une dizaine d’années une situation conjoncturelle aigue. Avec une dette globale évaluée à 31 milliards de FCFA au 31 décembre 2022, une situation financière alarmante du fait des équipements vétustes qui ne permettent plus une production optimale et de contrôler à peine 5% de part du marché textile au Cameroun.
Après avoir échangé avec le staff administratif et le DG, Edouard Abada Ebah, invisible même ce jeudi, puisque résidant plus à Yaoundé qu’à Douala, le Sous-préfet de l’Arrondissement de Douala 5è, Anuafor Cletus Asongwe venu en rescousse va le suppléer et avoir une séance de travail avec les délégués du personnel. A l’issu de ces pourparlers, il sera prise des solutions provisoires. «Elles n’étaient pas satisfaites pour le personnel, mais comme en tout négociation, nous avons d’abord accepté ce qu’on donne avant de revendiquer le reste par la suite», confie Joseph Pascal Epoh Bilé, le porte-parole des délégué du personnel. Et de préciser : «Il a été convenu qu’on va nous octroyer notre gratification qui représente le 13è mois au plus tard mercredi prochain. Nous attendons qu’elle soit effective. Le DG a promis au Sous-préfet qu’il était en train de faire les états par rapport à la campagne du 8 mars qui s’est bien déroulée, tout le stock a été vendu. Suite à ces états, nous attendons qu’il nous dise quelque chose de concret. Sinon, ce que nous avons fait aujourd’hui, nous sommes prêts à le refaire n’importe quand». Dans leur chapelet de revendications, ils disent ne plus recevoir la prime de salissure, l’allocation logement, la mutuelle est dans la banqueroute, la gratification de l’arbre de Noël qui est de 6 000 FCFA par enfant n’est plus versée, les primes de bonne séparation pour les départs à la retraite ne sont plus remises aux bénéficiaires, les cotisations CNPS ne sont plus versées depuis 2012, ce qui compromet le paiement des pensions retraites, le paiement des allocations familiales.

Une restructuration qui traine
Les employés font remarquer qu’ils ont suffisamment fait preuve de résilience. «En dépit de cette environnement peu propice au travail, nous avions fait preuve de dévouement et de patriotisme en continuant à produire malgré un outil de production vieillissant», argue Joseph Pascal Epoh Bilé. Et pour combler les défaillances des usines vétuste, il a été trouvé un palliatif en important les produits qui sont commercialisés au sein de la CICAM avec des résultats positifs. Pour le Sous-préfet, la très haute hiérarchie de l’Etat est au courant de cette situation et des mesures sont en train d’être prises pour arriver à une solution définitive. «Il y a eu des concertations interministérielles en vue de non seulement payer les 13 mois d’arriérés de salaires, mais de relancer les activités de cette entreprise qui doivent être entièrement réhabilitées», conclut Anuafor Cletus Asongwe. A cet effet, on se souvient que le Gouvernement avait recommandé à l’issue du Conseil interministériel consacré à la réhabilitation de Cicam en novembre 2021, sa restructuration financière et technique, ainsi que l’élaboration d’un nouveau modèle économique et financier afin d’atteindre les objectifs de la SND 30 relatifs entre autres à la fourniture en équipements vestimentaires de grands corps de l’État (militaires, police, civils). Sur cette perspective, il se susurrait même une recapitalisation avec l’accompagnement de la coopération chinoise qui semble être un serpent de mer. À cet égard, la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic (CTR), a prescrit un processus de restructuration adossé sur un contrat de performance qui a été amorcé en 2022. Pendant que le Bureau de mise à niveau des entreprises (BMN), avait évalué la restructuration de cette entreprise publique à une enveloppe oscillant entre 30,7 et 48,2 milliards de FCFA.

Mathieu Nathanaël NJOG
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
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