29 avril 2003 - 29 avril 2023.
Il est de tradition que lorsqu'un de ses disciples s'en va l'université s'acquitte d'un devoir de reconnaissance et lui rende un hommage solennel. C'est cette tradition qui me vaut le redoutable privilège de prendre la parole ici, ce jour pour rendre un hommage ô combien mérité au professeur Roger Gabriel Nlep dont la disparition prive l'université camerounaise d'une des figures emblématiques de la 2ème génération, à la suite des pionniers qui ont assuré la relève des coopérants français et anglais
Monsieur le ministre de l'Enseignement Supérieur,
Madame Marguerite NLEP,
Mesdames et messieurs,
Comment parler du professeur Roger Gabriel Nlep ? Comment dire tout ce que nous lui devons et évoquer la place qu'il a occupé parmi nous sans se laisser envahir par un flot d'émotion et de souvenirs? Décidément il est toujours trop tôt pour rendre hommage à une personne dont la disparition prématurée nous prive d'une source de savoir et d'humanité qui nous semblait devoir être intarissable. Professeur Roger Gabriel NLEP, cher collègue et cher ami qu'il m'est difficile, dans ce gymnase où il y’a quelques semaines votre voix de stentor résonnait, de parler de vous en terme de souvenirs, de bilan ...
Les choses commencent plutôt bien à l'école Saint Dominique Savio d'Edéa, avec des études primaires qui, déjà vont révéler des dispositions intellectuelles hors du commun, et ouvrir un parcours scolaire et universitaire exemplaire. Vous mènerez vos études secondaires successivement au Petit séminaire de Bonepoupa, au Collège d'Enseignement Général de Bonadoumbe à Douala et au Lycée classique de Bafoussam. Après le baccalauréat obtenu en juin 1971, vous vous inscrivez à la faculté des sciences économiques de l'université de Yaoundé, où vous allez survoler le cycle de licence en droit et des sciences économiques qui dure alors 4 ans. Muni d'une licence obtenue en 1975 avec la mention Bien (major de la promotion), vous choisissez, avec d'autres, de poursuivre vos études doctorales en France, vous y obtenez tour à tour :
- Un DEA d'administration publique et droit public interne avec la mention Assez Bien à l'université de Paris 1 (Panthéon Sorbonne) ;
- Un DEA de contentieux privé et public avec la mention Assez Bien à l’université de Paris –Nanterre ;
- Un DEA de science politique, avec la mention Assez Bien à l'université de Paris 2 (Panthéon Assas) ;
Et pour finir vous obtiendrez en juin 1984 le doctorat d'Etat en droit public à l'Université de Paris 1 avec la mention TRES HONORABLE et félicitations du jury.
Assurément ce parcours remarquable vous prédestinait à une carrière universitaire, que vous allez naturellement embrasser à votre retour au Cameroun. Le choix de cette carrière prestigieuse et exigeante va amener le perfectionniste que vous êtes à emprunter la voie royale pour notre discipline commune, faux pas de votre parcours en 1988. Le 6 Février 1990, vous recevez l'onction ultime des maîtres du droit avec votre admission au prestigieux et très sélectif concours d'agrégation pour le recrutement des professeurs des universités, spécialité : Droit public. Voilà définitivement mise sur orbite une carrière riche et dense, celle d'une personnalité d'exception. Et s'il me fallait trouver en quelques mots ce qui aura caractérisé cette personnalité, je pense que ce serait quelques qualités qu'on ne trouve pas souvent réunies chez la même personne, à savoir la compétence, le courage intellectuel, la générosité, la convivialité. Mais pour le plus grand nombre, vous resterez sans doute célèbre en tant qu'universitaire. Vos travaux scientifiques, nombreux et de qualité, sont là pour en témoigner. Avec, au commencement, ce maître-ouvrage publié à la Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence (L.G.D.J) à Paris en 1985 et intitulé : « l'Administration publique camerounaise, Contribution à l'étude des systèmes africains d'administration publique ». Un ouvrage consacré à l'analyse sociologique du système d'administration publique au Cameroun qui vous vaudra d'être placé, selon les termes du préfacier « le Professeur Pierre-François Gonidec » au premier rang des administrativistes camerounais. Votre fibre administrativiste sera bien perceptible tout au long de votre carrière, avec comme point d'orgue cet ouvrage sur « les grandes décisions de la jurisprudence administrative camerounaise », sous presse aux éditions Economica, avec la préface du Professeur Roland Drago. Mais, vous n'étiez pas qu'administrativiste, et vos nombreux travaux en droit constitutionnel, en droits de l'homme, en droit public économique, etc… témoignent de l'universalité de votre culture juridique. C'est sans doute avec délectation que les uns et les autres découvriront ces deux ouvrages à paraître, dont l'un est intitulé " Réflexion juridique sur la succession présidentielle du 6 novembre 1982 au Cameroun, et l'autre, « la théorie du village électoral et le problème de la représentation nationale ». Professeur Roger Gabriel Nlep, nombreux sont aussi ceux qui peuvent témoigner de vos qualités d'enseignant, ici comme à l'étranger. De Douala à Kigali, de Yaoundé à Paris, de Dschang à Tours, nombreux sont ces étudiants inconsolables à l'idée qu'ils ne pourront plus s'abreuver à la source de savoir et d'humanité qu'aura été celui qu'ils appellent affectueusement « grand prof ». Et tant de jeunes universitaires affligés, atterrés, parce qu'ils ont perdu leur maître, leur mentor.
D'autres enfin, continueront à saluer en vous l'universitaire et l'intellectuel engagé. Car, le fin juriste que vous êtes n'a jamais vu dans le droit un simple exercice, destiné à la satisfaction de l'esprit, mais plutôt un instrument au service d'un idéal, celui d'une société plus juste, plus humaine et plus apte à satisfaire les besoins de tous. D'où votre implication comme jurisconsulte dans l'élaboration d'un cadre juridique et institutionnel rénové, qui épouse les exigences ; la constitution du 18 janvier 1996 porte aussi la marque de votre participation, intelligente et déterminée, au Comité consultatif pour la révision de la constitution. D'où votre implication dans les grands débats sur le devenir de notre société. On méditera encore longtemps sur quelques concepts et théories de votre cru, que vous exposiez encore naguère avec cette verve qu'on vous connaît, à l'occasion d'une leçon inaugurale délivrée en ouverture du colloque organisé à l'université catholique d'Afrique centrale sur le thème : « Démocratie et élections ». On n'est pas prêt d'oublier cette théorie du « village électoral « , qui part du constat que vous faites de l'existence d'un hiatus entre le pays réel et le pays légal, en particulier en matière d'élection, ce qui vous amène à souligner la nécessité pour l'Afrique d'adopter la technologie électorale à ses propres réalités. A cet égard vous suggérez, pour le cas particulier du Cameroun, d'une part, que les élections se déroulent au suffrage universel indirect.
On n'est pas non plus prêt d'oublier ce fameux triangle équilatéral, qui traduit selon vous la présentation de trois grands complexes ethniques que sont le complexe Bamiléké à l'Ouest, le complexe béti dans le centre, le Sud et l'Est et le complexe ethnique nordiste, la présentation, disais-je, de ces trois complexes ethniques a confisqué la vie politique camerounaise au motif qu'ils constitueraient les dépositaires légitimes et exclusifs du pouvoir de l'Etat au Cameroun. Pour vous ce triangle équilatéral pourrait bien, si on n'y prend garde, devenir une espèce de triangle de Bermudes, qui mettrait notre cohésion en péril. Mais, ceux qui vous ont bien connu savent que vous n'aurez pas simplement été un universitaire, un intellectuel brillant et engagé. Et, plus profondément encore, c'est l'homme que beaucoup pleure aujourd'hui. Chacun pouvait percevoir, au premier contact votre affabilité, votre disponibilité et votre ouverture d'esprit. Mais tout le monde ne sait pas aujourd'hui jusqu'où ont pu aller votre générosité et votre dévouement tant pour la cause de l'université camerounaise, cette université qui n'aura pas forcément été irréprochable à votre endroit ces temps derniers, que pour bien d'autres causes encore; parce que vous avez été un citoyen, dans le meilleur sens du terme.
Professeur Roger Gabriel Nlep, votre mort résonne comme une interpellation forte, une de plus, sur la condition d'universitaire d'aujourd'hui. En effet, hier, les Professeurs Georges Walter Ngango, Stanislas Melone, Samuel Ngongang et bien d'autres... aujourd'hui, vous ! Tant de morts qui nous laissent le même sentiment d'un immense gâchis, comme si paradoxalement, notre pays était embarrassé par cette élite intellectuelle que d'autres lui envient. Dans nos sociétés traditionnelles, quand les choses vont si mal, on organise des assises de purification et de réconciliation que les Béti appellent « Essi » pour trouver l'apaisement. Depuis de nombreuses années, on voit bien qu'il y a comme une malédiction qui s'est abattue sur notre université. Mais notre société est-elle enfin prête pour ces assises salutaires qui lui permettraient de se réconcilier avec son université ? Roger Gabriel Nlep, ta disparition prématurée est un réel appauvrissement pour notre université, pour notre pays. Elle est un coup dur pour nous qui espérions un bon bout encore quelques défis avec toi, au service de ce pays que nous aimons tant.
Mais à présent que tu as entamé le grand voyage vers la connaissance absolue, vers ce pays, où dit-on, les amphithéâtres sont bien plus beaux que ce gymnase, vers ce pays où le droit est juste et équitable, acceptes, par ma voix, les adieux de cette université à laquelle tu auras tout donné
Nous avons foi en ce que le Dieu de miséricorde t'accueillera à ses côtés, parce que tu auras combattu le bon combat.
Adieu, adieu Monsieur le professeur.
Discours Prononcé par le Pr Adolphe Minkoa She
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
www.lecanardlibere237.com
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