AFFAIRE FONCIERE DIKOLO-BALI
A son audience du 15 février 2024, le Tribunal Administratif du Littoral a rejeté le recours du promoteur la société IBC, Olivier Chi Nouako, commanditaire du déguerpissement sauvage de la centaine d’habitants de Dikolo-Bali à Douala survenu le 14 mai 2022 sous la fallacieux prétexte d’utilité publique. Mais il reste encore en instance le pourvoi en cassation auprès de la Chambre Administrative de la Cour Suprême introduit par le Premier Ministre qui demande que soit rapporté le jugement du tribunal administratif du Littoral qui avait annulé son décret d’expropriation.
La salle d’audience de la Cour d’Appel du Littoral était trop étroite le jeudi 15 février 2024. La communauté Sawa en général et la quasi-totalité des victimes de l’expropriation sauvage de Dikolo-Bali à Douala en particulier se sont fortement mobilisées en tenue traditionnelle (Kaba pour les femmes et un pagne noué autour du rein pour les hommes) de couleur noire pour participer à cette audience des plaidoiries du Tribunal Administratif du Littoral. Le promoteur de la Société IMMIGRATION BUSINESS CANADA (IBC), Olivier Chi Nouako avait interjeté appel, en tierce opposition de la décision de ladite juridiction prise le 14 mai 2023, annulant la déclaration d’utilité publique sur ce site de près de 3 ha où une centaine de familles avaient été déguerpies dans une sauvagerie sans précédente au petit matin du 24 mai 2022. La société IBC et son promoteur ont estimé que cette décision leur causait préjudice et qu’ils n’avaient pas été appelés à ce procès. Enrôlé à cette audience, il a fallu cinq heures (de 8 heures à 13 heures) de débats enflammés et contradictoires, riches en révélations, en rebondissements, et en production du savoir judiciaire. Pour finir, la collégialité a mis la cause en délibéré en cours d’audience et au final, elle a rendu son verdict en déclarant «l’action de la société IBC irrecevable pour défaut de qualité».
Une énième victoire judiciaire
C’est par des cris de joie, venus du fonds de la salle que de la communauté Sawa a une nouvelle fois exprimée sa satisfaction de voir chaque jour leur cause glaner des victoires. «Ce combat est un vrai chemin de croix avec des rebondissements heureux, avec des craintes et des peurs. Ç’a été un moment de très grandes émotions. Chacun l’a vécu dans son cœur et dans sa chair», a déclaré Marlyse Rose Tongo Douala Bell, ancienne député et élite Sawa, au pas de la Cour d’Appel du Littoral à Bonanjo. Pendant les plaidoiries, les deux représentants du Ministère public, ont dans un développement éblouissant démontré d’une part que le déguerpissement des habitants de Dikolo a eu lieu le 14 mai 2022 soit plus de deux mois après la fin de la Can Total Energie. Conséquence, le déguerpissement prétendu pour utilité publique ne pouvait plus se justifier puisqu’il survient plusieurs mois après la CAN Total Energie 2021 que le Cameroun a abrité en janvier–février 2022. Malgré que Chi Nouako prétend détenir une concession avec le Ministère du Tourisme à l'effet de construire un hôtel 5 étoiles pour permettre à l'État du Cameroun de remplir ses obligations vis à vis de la CAF dans le cadre de l'organisation de la CAN 2022.
D’autre part, le parquet a produit au tribunal la lettre que le Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières (MINDCAF) avait adressée au Secrétariat Général de la Présidence de la République pour indiquer que les travaux de construction par la société IBC de Hôtel de dimension internationale en partenariat avec le Groupe Marriott International, d’une capacité en hébergement de 280 chambres et comprenant entre autre une salle de conférence de 1 000 places, une piscine, un centre d’affaires, d’un casino et des espaces de loisirs parmi les différentes attractions prévues, devaient commencer en décembre 2022 soit 10 mois après la fin de la Can Total Energie 2021. «Aujourd’hui, nous avons tous été édifiés. Nous remercions la justice camerounaise pour l’impartialité qu’elle a fait preuve. La sentence qui vient d’être rendu n’est pas surprenante. Par rapport à la genèse de Dikolo, où tout a été faussé dès la base», confie Charles Bell, l’une des victimes. Le combat des victimes pour être rétablies dans leurs droits est loin d’être terminé, puisque le promoteur de la société IBC peut encore se pourvoir en cassation s’il continue de ne pas être satisfait par la décision rendue. Mais aussi, les victimes doivent encore faire face à une autre procédure pendante à la Chambre Administrative de la Cour Suprême où le Premier Ministre a introduit un pourvoi en cassation pour faire annuler le jugement rendu par le Tribunal administratif du Littoral qui avait annulé le décret d'expropriation qu’il avait signé.
Le Premier ministre dans la danse
Lors de ce procès, les conseils des victimes avaient démontré que ce décret d’expropriation et d’indemnisation de 2020 fait allusion à un Titre foncier N° 750 d’un terrain situé à Bali-Besséké. Or Dikolo est situé à Bali et Besseke est situé à Akwa. Pis encore, le Titre foncier N° 750 appartient à une tierce et est situé à Déido-Bonatoné. «C’est une transposition maffieuse par des services du Cadastres de ce titre foncier sur la mappe de la ville de Douala», soutenait Me Richard Njoh Nseke, porte-parole des victimes. Au sortir de cette sentence, les victimes sont allées se recueillir sur le site pour remercier les ancêtres. «Qu’on retourne cette affaire comme on veut, l’issu sera toujours la même. Nous sommes dans notre droit et ce sont nos terres. C’est notre village, nos cordons ombilicaux sont enterrés ici, les tombent de nos parents sont aussi ici. Il peut se pourvoir en cassation le tribunal arrivera au même verdict», rétorque Madessi Bell, le porte-parole des victimes. La réparation, c’est le combat qu’avaient engagé les victimes de cette expropriation. « La première chose à faire est donc de nous restituer nos terres. La seconde, qui est toute aussi importante, est de nous dédommager afin que nous puissions reconstruire nos maisons qui ont été détruites».
Mathieu Nathanaël NJOG
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
Laisser un commentaire et Abonnez-vous .
Comments