LIBERTE DE LA PRESSE
J’ai été saisi le 1er mai 2023 par mon ami Michel Ferdinand pour exprimer mon sentiment sur la dépénalisation des délits de presse au Cameroun. Cette interpellation a fait remonter à ma conscience mes souvenirs sur cette question et actualisé mes opinions.
Je le disais, il y a une quinzaine d’années, lorsque j’exerçais comme journaliste; aujourd’hui, dans ma posture d’enseignant-chercheur, je le répète : emprisonner un journaliste ou un auxiliaire de la profession de journaliste parce qu’il a commis une faute dans l’exercice de son métier est un abus et une injustice ! C’est ce qui motive le combat pour la dépénalisation des infractions commises par voie d’organe de média. Ce combat est vieux, il est long, il ne s’achève pas. On parle en général de dépénalisation mais je m’appesantis sur la peine privative de liberté qui, pour moi, est l’aspect qui fait véritablement problème.
Dans tous les métiers, les professionnels commettent des fautes qui peuvent être constatées et punies. Cela semble d’ailleurs ordinaire puisqu’ils ne sont pas des dieux. Mais combien de fois a-t-on vu jeter sans façon en prison : un administrateur civil qui a pris une décision ayant fait chuter un secteur d’activités dans une unité administrative, un médecin qui a raté un diagnostic clinique, un professeur qui a effectué une démonstration erronée, un inspecteur des impôts qui a trop fait payer un contribuable, un ingénieur qui a raté le calcul des charges d’un immeuble, un blanchisseur qui a brûlé l'habit d’un client, etc.? Pourtant, dès qu’il s’agit des professionnels des médias, nombreux sont ceux qui revendiquent leur mise en détention quand ils commettent une erreur pouvant être qualifiée comme contravention ou comme délit.
Cette manière d’apprécier et d'exiger la répression de ces derniers est si ancrée dans nos représentations qu'on finit par trouver normal qu’un journaliste aille en taule. On le comprendrait peut-être : les autres exercent leurs métiers dans le huis-clos de leurs bureaux ou ateliers; or, ce que fait le journaliste est destiné à être diffusé. Et là, chacun peut voir, critiquer et penser qu’il aurait mieux performé s’il était à la place de l'homme ou de la femme de média. Dès que le journaliste ou l'animateur pose à l'occasion de son travail un acte préjudiciable aux tiers, la clameur publique crie au scandale parce que c’est visible. Parmi ceux réclament leurs têtes, il y en a qui ne seraient pas seulement coupables (si on les jugeait) de contravention ou de délit, mais de crimes lorsqu'on regarde la réalité de leurs pratiques quotidiennes en situation professionnelle. Puisque peu de personnes le voient, ceux-là passent généralement pour des saints alors que les professionnels des médias sont de ceux qui apparaissent comme des diables.
Les médias se positionnent en effet dans la société comme un contre-pouvoir opposé aux autres pouvoirs. Ils surveillent notamment le judiciaire, l’exécutif et le législatif. Ils livrent les éventuels faits de malgouvernance de ces derniers au tribunal de la conscience individuelle et collective. Les médias constitueraient ainsi un ennemi commun à combattre et à abattre par tous les moyens. Les choses sont ordonnées de sorte telle que ces trois semblent s’organiser pour «maîtriser» les moyens de communication de masse et ceux qui les animent. Souvenons-nous de ce que l’historique loi sur la communication sociale au Cameroun avait été baptisée « Code pénal de la presse camerounaise » par certains journalistes dans les années 1990. Rappelons-nous de ce que le droit des médias subit toujours des « usages politiques » par l’Administration pour restreindre une liberté pourtant affirmée dans les textes. Souvenons-nous encore de ce que certains juges sont souvent sévères vis-à-vis des médias lorsque ces derniers sont traînés par-devant leurs juridictions. Dans une logique de «tous les pouvoirs contre les médias», il faut museler les journalistes et auxiliaires pour préserver des avantages, sauvegarder des intérêts, conserver une position au sein de l’appareil d’État. La voie royale de ce bâillonnement, semble-t-il, c’est l’application régulière de la peine privative de liberté.
Dans cette configuration, il serait utopique de penser que les journalistes auraient de si tôt gain de cause dans le combat pour la suppression de la peine privative de liberté telle qu’elle est inscrite dans le dispositif de contrôle des médias. Il s’agit d’une lutte de longue haleine dont l’issue dépendra de la capacité des professionnels des médias à faire valoir les spécificités de leurs métiers et à les faire prendre en compte par d'autres pouvoirs dans ce qui est bon ou moins bon pour une régulation sociale équitable. Loin de nous l’idée de faire croire que l’on doit passer par pertes et profits les fautes des professionnels des médias. Seulement, nous disons que les mécanismes de correction déjà existants, autres que l’emprisonnement, sont suffisants pour réprimer. En rajouter en privant les gens de leur liberté apparaît, de notre point de vue, comme un abus et une injustice d’autant plus que d’autres corps de métiers ne subissent pas cette pression et cette oppression. L'emprisonnement est manifestement disproportionné par rapport aux fautes éventuelles qui pourraient être commises. S'il est nécessaire de ne plus en arriver là, on se demande naturellement comment procéder.
Il apparaît de notre point de vue que les avocats et les magistrats ont une clé de résolution du problème. Ce sont en effet les magistrats qui rendent les décisions de justice qui, soit envoient les journalistes en prison, soit les relaxent ou relâchent. Les avocats, quant à eux, travaillent à la manifestation de la vérité afin que les jugements soient davantage éclairés. Qui ne se souvient des plaidoiries de Me Charles Tchoungang qui, au début des années 1980, mirent Me Icaré à la retraite, dans une affaire de délit de presse qui engageait la liberté du journal Le Messager et de Pius Njawe ? Face aux arguments juridiquement bien articulés du jeune avocat, le juge prononça la relaxe pure et simple de Pius. Qui ne se rappelle de ce qu'un des documents didactiques majeurs en droit des médias au Cameroun est l’œuvre de deux magistrats, Eyikè-Vieux et Youssoufa Boukar? Il va s'en dire que les professionnels de la justice ont un rôle important à jouer. Si les actes positifs de quelques-uns d'entre eux pouvaient se multiplier et être systématisés, on avancerait d'un pas. Nous savons bien qu'ils ont comme base de travail les textes juridiques qui les lient. Or, ces textes prévoient l'emprisonnement des auteurs et complices des infractions de médias. Mais l'avocat a la capacité de fournir des éléments probants de preuve ou de contre-preuve; le juge a la faculté d'apprécier en faveur ou en défaveur ... Les deux corps peuvent donc, chacun en ce qui le concerne, agir pour réduire la probabilité des emprisonnements.
En attendant, les professionnels des médias, permanemment dans l'œil du cyclone, doivent défendre leurs intérêts de toutes leurs forces. Cela commence par une solidarité ferme dans toutes les épreuves qui engagent les métiers des médias. L’on a positivement apprécié la mobilisation à l’occasion des interpellations, emprisonnements et décès de certains acteurs médiatiques : Koum Koum, Bibi Ngota, Wazizi, Zogo, etc. Au-delà de la spontanéité des actions régulièrement entreprises, cette mobilisation doit davantage se structurer autour d’une régulation bien organisée et rigoureusement suivie. Le chemin de la régulation par le gouvernement à travers des institutions comme le Conseil national de la communication ou la Commission de délivrance de la carte de presse est boudé par les professionnels. Mais le Conseil camerounais des médias que l’Union des journalistes camerounais avait mis sur pied est en hibernation. Comment organiser une autorégulation respectable si on avance en rangs dispersés?
C’est probablement dans le cadre de structures solides d’autorégulation, créées et animées par les professionnels eux-mêmes, que les médias se feront mieux valoir. Il est également possible que les syndicats de production et de redistribution pleinement conscients de leurs responsabilités posent des actions qui contribuent à la suppression de la peine privative de liberté. Qu'il nous soit permis de rappeler que le Syndicat des journalistes employés du Cameroun avait, à la fin des années 2000, travaillé à la signature de la Convention collective des journalistes et auxiliaires de la profession, même si celle-ci n’est pas véritablement appliquée. On se rappelle aussi de ce que ce même syndicat avait préparé un avant-projet de loi sur les médias, lequel n’avait finalement pas prospéré. Mais des initiatives comme celles-là, qui amelioreraient l'environnement des médias et ôteraient la peine privative de liberté du spectre des sanctions encourues par un professionnel des médias sont vivement attendues. L’on espère de véritables plaidoyers auprès de ceux qui ont l’initiative des lois : les parlementaires – les députés de la nation surtout – et le Président de la République. Il ne faut pas seulement que les parlementaires se pavanent et s’affichent dans la rue avec les journalistes dont ils estiment être les amis; il est responsable qu'ils accompagnent ce combat en faisant sauter le verrou de l’emprisonnement ici indexé.
La bataille sur tous les fronts est longue et rude. Mais pas de renoncement possible. La survie et l’ennoblissement des métiers des médias en dépendent !
Pr Alexandre T. DJIMELI, journaliste en retrait.
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
www.lecanardlibere237.com
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