GROUPEMENT BAFOU
Fils du Roi Fo’o Ndong TEKONGMO dit « Tchoung-lepap, Kana 1er est aussi identifié dans l’histoire comme Fo’o Ndong Pou’oh-Kouh (le Roi infirme), ou encore Fo’o Ndong Nkong-Lah (le roi aimé du peuple).
À la suite de ses prédécesseurs Fo’o Ndaptchou, Fozap, et Ndongmo, Kana est certainement l’un des plus grands conquérants qu’ait connu la puissante dynastie des Fo’o Ndong. En effet, c’est sous son règne que Bafou va reprendre son expansionnisme vers l’extrême-nord (territoire au-dessus de la falaise de Nko’o-anong), occupé jusque-là par le peuple Mock ; il va également affranchir les territoires de Tsinglah et Mezou, avant d’arracher Zem à Baleveng. Habile et rusé, Fo’o Ndong Kana 1er a contribué de façon significative à l’agrandissement du territoire Bafou ; c’est sous son règne que les premiers colons allemands démarquent dans la ville de Dschang, et il saura les manipuler à son profit pour assoir son autorité et sa notoriété sur les villages voisins à Bafou. Dès sa prise de règne, Fo’o Ndong Kana 1er a vite compris les enjeux économiques de l’axe Bafou-Fotem, une route commerciale grâce à laquelle la vente de l’huile de palme faisait de nombreux fortunés dans le royaume. Le Roi Kana 1er avait d’ailleurs plusieurs rabatteurs qui allaient faire la collecte de l’huile pour son compte.
Comme la fortune attire généralement le vice, la route de Fotem était aussi truffée d’agresseurs et de truands, qui n’hésitaient pas à s’attaquer aux commerçants pour les dépouiller. Ainsi, au cours de ces expéditions, les hommes de Kana 1er étaient souvent agressés, maltraités et dépouillés par des inconnus, finalement identifiés par les Bafou comme étant les hommes de Sa’ah Tepouet, un chef qui régnait en maître absolu sur le territoire de Mock. La goutte d’eau qui va faire déborder le vase provient de la mort du fils de son ami Fo’o Jiokeng à la suite de l’une de ces agressions. Choqué par cet acte ignoble, mais aussi rassuré d’avoir enfin un mobile pour s’attaquer à Sa’ah Tepouet dont la grandeur et la beauté du territoire ne laissaient pas indifférent le roi expansionniste, Fo’o Ndong Kana 1er va passer à l’action. Il faut noter que selon un principe qui lui était propre, le roi KANA 1er n’attaquait jamais un adversaire pour rien. Il se trouvait toujours un mobile pour passer à l’acte, ceci afin d’éviter les exactions du mauvais sort (Ndo’oh).
C’est ainsi qu’il va envoyer un détachement du Fou’ka’a, à l’assaut du nord. Le Fou’ka’a est une armée secrète qui avait été mise en place pour remplacer le Dzong-Tsoug (une autre société secrète dissoute, car jugée trop violente et parfois partiale dans les décisions). L’objectif de la mission est claire : Ramener Sa’ah Tepouet au palais du Roi des Bafou, mort ou vif. Cette mission est commandée par Wamba Meteu (alors commandant en chef du Fou’ka’a), et Sa’ah Fogang. Les opérations seront facilitées par la « grande relation d’amitié » qui existe entre Sa’ah Tepouet et Wamba Meteu, car lorsque ce dernier se rendait dans la partie nord, c’est bien chez son ami Sa’ah Tepouet qu’il passait la nuit. Ce jour-là, les deux hommes se couchèrent dans le même lit, avant que « son ami » ne lui tranche froidement la tête dans la nuit pendant son sommeil. L’histoire raconte que le Fou’ka’a fit des ravages indescriptibles cette nuit dans tout le grand-nord ; le sort de Sa’ah Tepouet était ainsi scellé. Son crâne fut ramené à la chefferie Bafou tel un trophée de guerre, tandis que ses populations apeurées se refugièrent dans les bas-fonds : L’Extrême-nord, territoire vaste, verdoyant et fertile, était désormais intégré dans Bafou. Cette belle et grande victoire fut célébrée par une grande parade de Kezah Fo’o et de Ngou’h Fo’o, (danses de jubilation et de célébration de la grandeur du Royaume Bafou), qui fut exécutée en présence du roi en personne, de son peuple, et de tous les soldats qui avaient pris part à cette expédition punitive. Ce territoire fut baptisé « Ndziih ».
Cependant, les appétits du roi conquérant ne se limitent pas seulement dans l’extrême-nord. En effet à l’ouest du Royaume, Kana 1er s’attaque au Roi des Foto, et obtient les territoires de Lepouo et de Tsuèto’o. Ce dernier territoire qui signifie littéralement « la plantation de Foto », recevra sous Kana II, l’appellation de Kekang du nom d’un cours d’eau qui l’arrose. Certainement impressionné par l’étendue de son territoire dans le Nord et à l’Ouest, Kana 1er ne veut pas s’arrêter en si bon chemin ; il veut descendre dans le sud. Seulement, les adversaires sont coriaces dans cette partie : Baleveng, Fokamezou et Tsenglah. Sur le plan stratégique, Baleveng et Tsenglah sont des alliés de longue date, et l’attaque de l’un suscitera certainement la réplique en renfort de l’autre. Fokamezou quant à lui détient de puissants pouvoirs mystiques de guerre encore non identifiés et en conséquence non maitrisés par les Bafou, notamment les pouvoirs sur l’eau et sur les mouvements des abeilles. Il se raconte d’ailleurs que Fokamezou avait le pouvoir de faire monter le niveau des eaux pour déterrer les denrées alimentaires dans la partie nord de Bafou et les charrier dans les torrents pour nourrir ses populations loin au sud. Pour déstabiliser le trio, Kana 1er va signer un pacte de non-agression avec Baleveng. Après cela, il lance les hostilités contre Fokamezou. Baleveng va violer ce pacte en entrant dans le conflit auprès de son allié pour combattre Bafou. Face à la complexité des forces en présence, Kana 1er décide d’utiliser la ruse. Pour cela, il a un allié de poids nouvellement entré dans la danse : La force militaire allemande. En effet, le Roi Kana va faire la connaissance de l’administrateur allemand, le capitaine Laugheld à travers son ami Fon Assunganyi de Fotem (que les Bafou appellent affectueusement Fo’o-tem lepang), avec qui il entretient des relations commerciales et d’amitiés depuis des décennies.
En effet, le chef de Fotem qui avait subi les affres de la force militaire allemande, envoya des informateurs mettre en garde ses amis Kana de Bafou et Ndongbou de Foreke-Dschang. Il les informa que les allemands avaient décidé de construire un poste fortifié sur son territoire avec peut-être l’intention de conquérir les autres villages de l’intérieur du pays, et qu’ils ne devaient surtout pas opposer de résistance à ces hommes à la peau blanche, car ils avaient des « bâtons qui crachent le feu et tuent à l’instant ». En effet, Fon Asonganyi est bien connu dans l’histoire pour sa forte résistance face aux allemands. Il avait eu l’audace de faire emprisonner en 1898 l'explorateur et agent colonial allemand Gustav Conrau, accusé de trafic d'indigènes. À la recherche de caoutchouc, d'ivoire, et d'œuvres d'art dans la région de Fontem, Gustav Conrau en ramenait surtout de la main d'œuvre pour ses plantations sur la côte, prétextant avoir besoin de porteurs. Informé du fait que les Fontem amenés par Conrau étaient ensuite soumis aux travaux forcés, Asonganyi le convoqua et le foutu en prison. Un an plus tard en 1899, Conrau se suicida après une tentative d'évasion manquée. Comme on peut l’imaginer, l’armée allemande lança un assaut punitif contre les Bangwa de Fotem, mais c’était sans compter sur la fougue et la détermination de leur roi Fon Asonganyi qui résista pendant près de trois ans avant d’être arrêté, emprisonné et exilé à Garoua.
Sachant que son ami Kana était un conquérant intrépide et qu’il ne pouvait que prendre les armes face aux allemands, Fon Asonganyi voulu ainsi prévenir le roi des Bafou sur la dangerosité de ces nouveaux envahisseurs blancs, un grand signe d’amitié réelle et sincère qui sella de façon historique les liens entre les peuples Bafou et Bangwa. A la place d’une confrontation en frontal avec les allemands, le roi des Bafou trouva une ruse pour tirer son épingle du jeu. Il envoya de suite une délégation à Fotem rencontrer les allemands, les mains pleines de cadeaux (maïs, haricot, pommes de terres, chèvres, porcs, etc.) afin de leur faire allégeance. La délégation Bafou conduite par Manfo-Teïgouh, profitera de ce déplacement pour inviter le chef de la mission allemande à venir visiter la chefferie Bafou. Pour le roi Kana 1er, cette visite hautement stratégique est aussi une démonstration de force face à ses voisins du sud. Désormais, tous savent que Fo’o Ndong est « l’ami du blanc ». Le roi Kana ne va pas s’arrêter en si bon chemin ; il va présenter ses adversaires aux allemands comme des subversifs qui s’attaquent à lui parce qu’il pactise avec les blancs qu’ils n’en veulent pas. C’est ainsi que les allemands vont envoyer une mission punitive à Baleveng qui était entré dans le conflit aux côté de Fokamezou. Bafou va profiter de l’intervention allemande pour récupérer à Baleveng les territoires de Zem et de Nkeng-Kwè. Dans la même lancée, le chef Fo’o Ndong Kana 1er demande alors à l’administrateur allemand de le constituer porte-parole auprès des autres chefs de la localité, et celui-ci accepta volontiers. C’est un atout que le roi utilisera pour faire soumettre ces adversaires du sud et augmenter son territoire.
Pour le chef Tetio de Mezou, l’obligation de transiter par le roi des Bafou pour recevoir les instructions de l’administration sonne comme un affront. Il va marquer son refus aux allemands, et la sentence sera fatale : pendaison sur la place publique. D’autres sources disent plutôt que dans leur cruauté, les allemands avaient planté un clou dans la tête dudit chef. Contrôlant désormais la situation de Mezou, Kana 1er en profitera pour remettre le trône à Zébazé, un prince qui lui est favorable, du fait de leurs liens de parenté. En effet, la mère de Zébazé est une sœur consanguine du roi Kana 1er. Cet acte marque la soumission de Fokamezou et l’incorporation de son territoire comme partie intégrante de Bafou.
Pour le cas de Tsenglah, Fo’o Ndong Kana 1er utilise la même ruse. En effet, tout comme son confrère de Fokamezou, le chef Nguena de Tsenglah refuse de passer par Bafou pour recevoir les instructions des allemands, et subit le même sort, c’est-à-dire la pendaison sur la place publique par l’autorité allemande. Après quelques années passées sans chef, Mamfo Teguetem, alors frère de Nguena, sera copté pour assurer la continuité de la chefferie Tsenglah. Conduit devant les autorités allemandes, il eût tellement peur qu’il tomba en syncope (se souvenant sans doute de la pendaison de son frère). Les allemands estimèrent de ce fait qu’il n’était pas apte à gouverner, et le confia au roi Kana 1er avec pour objectif de lui apprendre la gestion du pouvoir et de l’autorité, pendant une période d’au moins sept ans. Malheureusement pour lui, l’éclatement de la première guerre mondiale ne permit pas aux autorités allemandes de restaurer Manfo Teguetem dans son autorité en tant que chef de village, et c’est ainsi que le roi Kana 1er profita de cette tutelle pour garder Tsenglah comme partie intégrante de son territoire.
Après toutes ces victoires cumulées, Fo’o Ndong Kana 1er quitte ce monde le 07 octobre 1928, et est remplacé au trône des Fo’o Ndong par son fils Ngouajeu Jean. En définitive, Fo’o Ndong Kana 1er se présente dans la dynastie des Fo’o Ndong comme un roi exceptionnel, qui a su allier la force, l’intelligence et la ruse pour asseoir son autorité et assurer le développement et la grandeur de son royaume. Il a laissé à la postérité un royaume Bafou vaste, puissant et craint. Seulement, ce que Kana 1er n’a certainement pas su, c’est que l’arrivée de la colonisation qu’il a accueilli à bras ouverts, suivi des mouvements de lutte pour l’indépendance et les libertés, allaient compromettre de façon significative l’autorité de ses successeurs, allant même jusqu’à menacer de perdition la chefferie traditionnelle. La première victime que ces vents de libertés, c’est son remplaçant direct sur le trône, le Roi Fo’o Ndong Ngouajeu Jean.
Auteur : Mo’oh Sob Ndoungue NOUPOUWO Eric Géraud
Propriété : Bafou culture et traditions
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
www.lecanardlibere237.com
Laisser un commentaire et Abonnez-vous .
Comments