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Au-delà des promesses, bâtir notre avenir

INVESTITURE


Dans une tribune parvenu à notre rédaction, le Dr Mandou Ayiwouo Faty-Myriam, Enseignante - Université de Douala et Coordinatrice Lab - The Okwelians, reparcours le discours d'investiture du président de la République déclaré officiellement élu par le Conseil Constitutionnel le  6 novembre 2025 pour en faire une lecture contextuelle


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Ce matin du 6 novembre, je me suis installée devant mon écran pour écouter le discours d'investiture. Vous savez, ces moments-là ont quelque chose de particulier. On a envie d'y croire, de se dire que cette fois sera différente. En tant que femme camerounaise qui jongle entre ses cours à l'université, ses engagements associatifs et son propre parcours de vie, j'avoue que j'avais des attentes. Et j'ai décidé d'écrire cette tribune non pas pour critiquer ou pour applaudir aveuglément, mais pour réfléchir ensemble à ce qui nous attend.

 

Cette union qu'on nous demande

« L'union sacrée ». Ces mots ont résonné plusieurs fois dans le discours. Et franchement, ils me touchent. Parce qu'au quotidien, dans mes interactions avec mes étudiants, mes collègues, les gens que je croise dans les associations, je vois tellement ce besoin d'être ensemble, de se parler vraiment, sans cette méfiance qui nous ronge.

Mais l'unité, ce n'est pas juste un mot qu'on prononce solennellement un jour de cérémonie. C'est un travail de tous les jours. Dans ma salle de classe, quand j'essaie de créer un espace où chaque voix compte. Dans les réunions communautaires où on doit apprendre à s'écouter même quand on n'est pas d'accord. C'est là que l'unité se construit, pierre après pierre, conversation après conversation.

Et puis il y a ces réseaux sociaux... Mon Dieu, ce que ça peut être violent parfois ! Les insultes, la haine, les divisions qu'on cultive derrière nos écrans. Alors oui, l'appel à mettre fin à ces discours de haine, j'y souscris totalement. Mais comment on fait concrètement ? Parce que c'est bien beau de le dire, mais si on ne crée pas les espaces de dialogue, si on n'apprend pas à nos jeunes - et à nous-mêmes - à débattre sans détruire, on n'y arrivera pas.

 

Nos jeunes : espoir ou désespoir ?

J'ai eu un sourire en entendant l'annonce sur la reprise des études doctorales. Vous savez pourquoi ? Parce que depuis des semaines, mes doctorants me posaient la question avec une anxiété qui me faisait mal au cœur. Ces jeunes qui ont travaillé dur, qui ont des projets de recherche brillants, qui se demandaient si leur avenir académique allait être mis entre parenthèses. Alors oui, cette décision, c'est une victoire. Une petite victoire, mais une victoire quand même.

Et les Écoles Normales Supérieures qui rouvrent leurs concours... Là aussi, je mesure le soulagement de tant de jeunes qui veulent enseigner, qui ont la vocation. Parce que oui, l'enseignement c'est une vocation, pas juste un métier de repli.

Maintenant, parlons du plan pour l'emploi des jeunes. Sur le papier, ça a l'air bien : faciliter la création d'entreprises, accompagner les projets, développer les secteurs porteurs comme le numérique, l'agriculture, les mines. Je veux y croire, vraiment. Mais en tant que pédagogue qui voit ces jeunes tous les jours, je me pose des questions pratiques.

Comment on s'assure que ces facilités administratives ne seront pas noyées dans une bureaucratie kafkaïenne ? Comment on garantit que les banques vont vraiment jouer le jeu et financer les projets des jeunes, surtout ceux qui n'ont ni relations ni garanties à offrir ? Et ces travaux à haute intensité de main-d'œuvre, comment on évite qu'ils ne deviennent de l'exploitation déguisée ?

Ce ne sont pas des questions pour critiquer, mais parce qu'on a tous vu des programmes bien intentionnés s'enliser faute de suivi, de transparence, de véritable volonté politique au quotidien.

 

Nous, les femmes

Quand j'ai entendu parler de « meilleure responsabilisation et protection des femmes », mon cœur a fait un petit bond. Parce que je le vis, ce combat quotidien. Je le vis en tant que femme qui doit parfois travailler deux fois plus pour être prise au sérieux. Je le vis quand je vois mes étudiantes brillantes qui doutent d'elles parce qu'on leur a répété toute leur vie que certains domaines ne sont pas pour elles.

Le soutien financier aux activités qui attirent les femmes ? D'accord, mais attention. On ne veut pas être cantonnées aux « petits commerces » et aux « activités traditionnellement féminines ». On veut aussi être dans la tech, dans les sciences, dans l'industrie, dans les hautes sphères de décision. La protection, oui, absolument. Mais aussi l'équité réelle, pas juste de façade.

Et puis la protection dont on parle, elle commence où ? Dans les milieux scolaires où certaines jeunes filles subissent encore du harcèlement ? Dans les milieux professionnels où le plafond de verre existe bel et bien ? Dans nos rues où la sécurité des femmes n'est pas toujours garantie ? Dans nos foyers, les violences conjugales sont les prémices trop souvent ignorées des féminicides et c’est à nous, comme le disait Césaire, de « recommencer le monde » en y inscrivant la vie des femmes comme mesure du juste, seuil inviolable de paix et de santé mentale sociale. J'aimerais qu'on aille au-delà des généralités et qu'on parle de mesures concrètes, chiffrées, suivies.

 

La question sécuritaire qui nous pèse

Les régions en crise... En tant qu'actrice de la société civile, j'ai vu des témoignages qui vous brisent le cœur. Des familles déplacées, des enfants qui ne vont plus à l'école, des traumatismes qui vont prendre des années à guérir. Alors quand on parle de reconstruction, d'appel au dialogue communautaire, je me dis : enfin !

Mais voilà, le dialogue ça marche quand tout le monde s'y met sincèrement. Les chefs traditionnels, les élites, oui, ils ont un rôle à jouer. Mais il faut aussi écouter les griefs, comprendre pourquoi on en est arrivés là. Le programme de DDR, c'est bien sur le papier, mais la réintégration c'est complexe. Ces jeunes qui déposent les armes, qu'est-ce qu'on leur offre concrètement ? Un avenir ? Une formation ? Un emploi ? Parce que sinon, on sait tous comment ça finit.

Et puis cette mention des commanditaires à l'étranger... C'est vrai qu'il faut de la coopération internationale. Mais on ne peut pas non plus tout mettre sur le dos des forces extérieures. Il faut aussi qu'on se regarde dans le miroir et qu'on se demande ce qui, chez nous, a permis que ça arrive.

La corruption, ce cancer

« Intensification de la lutte contre la corruption ». Combien de fois on a entendu ça ? Et pourtant, la corruption continue de gangrener nos institutions, de décourager les bonnes volontés, d'enrichir quelques-uns pendant que la majorité rame.

Moi, ce que j'enseigne à mes étudiants, c'est l'intégrité. L'éthique professionnelle. Le sens du service public. Mais je ne suis pas naïve. Je sais qu'ils sortent dans un monde où parfois, ceux qui respectent les règles sont vus comme des idiots. Alors comment on change ça ?

La corruption, ce n'est pas juste une question de sanctions. C'est une question de culture. Il faut de la transparence, de la redevabilité, des institutions fortes et indépendantes. Il faut que les sanctions tombent, quelle que soit la position de celui qui triche. Il faut montrer l'exemple, tout en haut de la pyramide.

 

Les infrastructures, notre quotidien

L'eau, l'électricité, les routes, la santé. Ce ne sont pas des luxes, ce sont des nécessités. J'habite dans un quartier où l'eau ne coule pas tous les jours. Où les coupures d'électricité font partie du quotidien. Où aller à l'hôpital c'est parfois une loterie.

Alors oui, accélérer ces projets, c'est crucial. Mais là encore, je veux voir de la qualité, pas juste des inaugurations et des photos. Je veux voir des projets qui durent, qui sont entretenus, qui servent vraiment les populations. Et je veux voir de la transparence dans la gestion de ces chantiers.

 

Notre démocratie fragile

Les violences post-électorales m'ont fait mal. Vraiment mal. Parce que j'y ai vu l'échec de quelque chose de plus grand : notre capacité à gérer le désaccord de manière civilisée. On peut ne pas être d'accord sur les résultats, on peut contester, manifester, mais pas détruire, pas tuer, pas semer le chaos.

En tant qu'éducatrice, je me dis qu'on a un travail énorme à faire sur la citoyenneté, sur la culture démocratique. Nos enfants grandissent en voyant ces violences. Qu'est-ce qu'on leur transmet comme modèle ? Comment on leur apprend que la démocratie ce n'est pas seulement voter, c'est aussi accepter le débat, respecter les institutions, chercher la vérité plutôt que sa vérité ?

 

Ma part de responsabilité

Bon, maintenant que j'ai dit tout ça, je me dois aussi d'être honnête sur ma propre responsabilité. Parce qu'il est facile de pointer du doigt, d'attendre que les choses changent d'en haut. Mais le changement, il commence aussi par nous.

Dans mes cours, je peux continuer à former des jeunes qui pensent, qui questionnent, qui refusent la facilité. Dans mes activités associatives, je peux continuer à créer des espaces de dialogue, à accompagner des projets qui changent concrètement la vie des gens. En tant que femme, je peux être un modèle pour d'autres, montrer qu'on peut tenir ses convictions sans devenir aigrie.

Et vous qui lisez cette tribune, quelle est votre part ? Qu'est-ce que vous êtes prêts à faire, concrètement, pour que notre pays avance ? Parce qu'on ne peut pas juste attendre, commenter sur les réseaux sociaux et se plaindre. Il faut agir, à notre niveau.

 

Pour conclure

Ce 6 novembre 2025, j'ai choisi de garder espoir. Pas un espoir béat qui avale tout sans réfléchir. Mais un espoir actif, vigilant, exigeant. Un espoir qui dit : « D'accord, on nous propose un cap, maintenant on surveille que le bateau avance vraiment dans cette direction. »

Notre pays a du potentiel, c'est indéniable. On a une jeunesse intelligente et créative. On a des femmes fortes. On a des intellectuels engagés. On a des entrepreneurs innovants. Mais tout ce potentiel, il faut le libérer, le soutenir, le protéger.

Les sept années qui viennent vont être déterminantes. On peut en faire un tournant, ou on peut laisser passer une occasion de plus. Ça dépend de nos dirigeants, bien sûr. Mais ça dépend aussi de nous. De notre vigilance. De notre engagement. De notre refus de la facilité et de la résignation.

Moi, j'ai décidé de ne pas baisser les bras. J'ai décidé de continuer à croire qu'on peut faire mieux, qu'on mérite mieux. J'ai décidé de faire ma part, aussi petite soit-elle. Et j'espère que vous ferez la vôtre.

Parce qu'au final, un pays ne change pas par décret. Il change parce que des millions de personnes décident, chacune à leur niveau, de faire un petit geste vers plus de justice, plus d'intégrité, plus d'humanité.

Soyons ce changement que nous voulons voir.

 

Tribune libre rédigée le 6 novembre 2025

Dr Mandou Ayiwouo Faty-Myriam,

Enseignante - Université de Douala et Coordinatrice Lab - The Okwelians

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