LIBERTE D’EXPRESSION
Une jeune élève de la classe de Terminal de la ville de Ngaoundéré dans la région de l’Adamaoua qui vient d'être admise à son Baccalauréat série D s’est essayée dans l’écriture et pour son premier livre, elle est traînée au tribunal parce que des conservateurs l’accusent d’avoir violé les tabous dans un environnement où la culture musulmane est prédominante.
En s’inspirant de sa compatriote Djaïli Amadou Amal l’écrivaine camerounaise originaire de la région du septentrion et plus précisément de la région du Nord, qui ne cesse de collectionner des prix de littérature pour son engagement contre les discriminations sociales et la condition de la femme dans le Sahel, dans les thématiques abordées dans ses romans, une jeune élève de classe de Terminal série D à l’Institut Polyvalent Bilingue les Pintades de Ngaoundéré, Marzouka Oummou Hani, 17 ans, a publié sa première œuvre littéraire Intitulée : « Mon père ou mon destin Tome 1». Dans ce livre, la jeune auteure traite des questions telles que le poids des traditions, le mariage forcé et l'éducation de la jeune femme. « Au Cameroun, chaque région a ses spécificités. Cela fait en sorte que dans la nôtre, il y a également les règles et les traditions qui nous sont chères, des valeurs etc. et du fait de ces traditions et valeurs, malheureusement la population sans comprendre les fondements d'un roman peut se sentir vexée », explique Djaili Amadou Amal. Justement du fait que la jeune auteure a pris comme cadre spatial de son roman de fiction le village Idool dans la région de l’Adamaoua dont elle-même est originaire, cela n’a plu au Chef de ce village S.M. Mohaman Ahman.
En mai 2023, il va saisir le Ministre de la Culture et des Arts pour solliciter la censure de ce livre par son retrait du circuit de vente. Il accuse l’auteure dudit livre d’y peindre « de façon malsaine et diffamatoire » ledit village et son fondateur, SIDI. «Toute chose qui est de nature à induire en erreur le lectorat sur les connaissances scientifiques ou les faits historiques de mon village», se plaint S.M. Mohaman Ahman, le Djaouro du village Idool. Estimant que le livre : « Mon père ou mon destin » qui est à son Tom 1 est un projet malsain et ubuesque planifié par des personnes tapis dans l’ombre avec pour seul objectif de «retarder ou freiner les projets et ambitions de développement » de ce village, le Chef Mohaman Ahman a aussitôt engagé une procédure au pénal en introduisant une citation directe contre la jeune élève Marzouka Oummou Hani. L’accusant de diffamation et réclamant en guise de dommage et intérêt la somme de 150 millions FCFA. La première audience a eu lieu ce 20 juillet 2023 au Tribunal de Première Instance de Ngaoundéré (TPI). Après sa première comparution, la cause a été renvoyée pour le 18 août 2023. Djaili Amadou Amal va préciser : «En tant qu’écrivains, nous n'avons jamais l'intention de bafouer nos traditions ou d'insulter qui que ce soit. Même si on prend un village, un lieu comme cadre de notre écriture, un roman reste avant tout une œuvre de fiction. Une fiction veut dire une histoire inventée, imaginée ».
En allant à sa première audience, la jeune musulmane et de culture peule, Marzouka Oummou Hani, a été déclarée la veille (19 juillet 2023) admise à son diplôme de Baccalauréat série « D ». Son inspiratrice Djaili Amadou Amal, Lauréate du prix Goncourt de littérature va déclarer que « Aujourd'hui, il faut trouver les voies et moyens positifs pour avancer et sortir de cette situation sans confusion possible ». Et de reconnaitre que : « Ceci dit, on peut reprocher à Marzouka son immaturité et c'est dû à son très jeune âge ». Avant de relativiser : «La population de Idool devrait surtout se dire que c'est une fierté d'avoir une jeune fille qui s'est engagée dans un domaine très difficile, qui a sans doute un talent, et qui a besoin d'être encouragée et soutenue ». Comme elle, plusieurs observateurs avertis des questions de littérature ne comprennent pas que le Chef du village Idool qui dit agir au nom de ses populations, au lieu d’y voir une publicité gratuite qui pourrait donner une visibilité internationale à cette bourgade qu’il pourrait capitaliser pour réaliser l’ambitieux projet de développement qu’il dit avoir pour ce village au lieu de choisir la voie de la justice. Une affaire qui mobilise déjà les organisations de la société civile qui s’offusquent de l’entrave qui est ainsi faite à la liberté d’expression et la liberté d’opinion dans un environnement culturel où la gente féminine n’a toujours pas droit ni à la parole, ni à une éducation élevée, mieux est reléguée à la popote et à donner naissance.
Djaili d’avouer que : «Je l'ai vécu également quand on m'a reproché de prôner la révolte des femmes, de trahir les traditions, d'être une mauvaise musulmane et j'en passe ». Au regard de la menace d’emprisonnement et à payer une somme exorbitante en guise de dommages et intérêts qui pèse sur cette jeune fille qui est née le 1er mai 2006, Djaili Amadou Amal promet d’engager sa médiation : «Il faut donc une médiation pour lever les malentendus, même s'il faut que j'accompagne ma voix pour cela ». Toutefois, en relevant quelques manquements dans la démarche de la jeune auteure, elle se promet d’accompagner cette jeune auteure dans voie qu’elle veut entreprendre : « Marzouka va réécrire le livre en ajustant autant que besoin les parties qui ne répondraient pas au code du roman, bien entendu en préservant la liberté d'expression inaliénable. Et évidemment, je m'engage à l'encadrer pour ses publications ». Par ailleurs, elle va fustiger le faible encadrement de certains éditeurs quelque peu scrupuleux : «C'est le lieu également de pointer la part de responsabilité des éditeurs peu crédibles à compte d'auteurs, sans réelle compétence d'édition, qui exploitent l'inexpérience des jeunes écrivains dont ils ne sont même pas prêts à accompagner et encore moins défendre». Et va conseiller tous les jeunes qui aspirent à écrire : « C'est de s'en remettre absolument aux aînés pour les accompagner dans leur projet d'écriture. Écrire est un exercice de longue haleine, où la patience est de rigueur et la précipitation à proscrire ».
Mathieu Nathanaël NJOG
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
www.lecanardlibere237.com
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