SALAIRES DES AGENTS PUBLICS
Le Président de la République a signé le 6 mars 2023 le décret N°2023/158 portant revalorisation de la rémunération mensuelle du personnel civil et militaire à un taux de 5,2%. Non seulement, elle est arrivée après que l’application soit déjà effective depuis, mais elle a révélé au grand jour les inégalités criardes au point de faire des gorges chaudes dans les services publics et syndicats.
Dans un communiqué du Secrétaire général des Services du Premier ministre (SG/PM) du 21 janvier 2023, il était indiqué que le Gouvernement avec les partenaires sociaux avaient engagé des échanges constructifs qui ont conduit avec la flambée des prix des produits pétroliers sur le marché international à un ensemble de mesures. A savoir qu’à compter du 1er février 2023, le prix à la pompe du carburant connaitrait un réajustement avec le prix du Super qui passe de 630 FCFA à 720 FCFA et le prix du Gasoil de 545 FCFA à 720 FCFA. Ce qui a été effectif. En revanche pour amortir ce choc qui permettrait à l’inflation des prix des produits de consommation sur le marché de continuer à s’intensifier de manière inexorable depuis son déclenchement en début 2022, avec les effets de la crise Russo-Ukrainienne sur les tarifs de l’import/export, des mesures sociales d’accompagnement ont été pris par le gouvernement pour garantir le pouvoir d’achat des consommateurs, parmi lesquels la revalorisation de la rémunération des agents publics à un taux de 5,2%. Et la proposition de la révision à la hausse du SMIG de 36 000 FCFA à 41 875 FCFA. Alors que ces dernières mesures d’accompagnement attendaient encore que les procédures légales d’officialisation soient prises, depuis le paiement des salaires du mois de février, ces augmentations ont été prises en compte et mis en application en dépit des alertes des syndicats qui marquaient leurs réserves par rapport à ce qu’ils qualifiaient de « mesurettes ».
Décret de conformité et de régularisation
C’est finalement le 6 mars 2023 que le Président de la République a signé le Décret N°2023/158 portant revalorisation de la rémunération mensuelle de base du personnel civil et militaires du Cameroun. Mettant ainsi en exergue les dysfonctionnements de l’administration camerounaise où l’on peut constater qu’un simple communiqué d’un mandataire du pouvoir public peut avoir force de loi ou de décret au point de s’appliquer. Toutefois, il a permis aux Camerounais d’avoir une meilleure aperçue sur les salaires réels que gagnent les agents publics. Même s’il est venu servir de formalisation du communiqué du Secrétaire général des Services du Premier Ministre du 21 janvier 2023 et régulariser les paiements effectués au mois de février 2023, les bénéficiaires s’offusquent de ce ramdam. Puisque depuis lors, cela est au centre de toutes les conversations dans les chaumières et débits de boissons. Notamment sur la disparité criarde observée entre les personnels civils (enseignants, médecins, magistrats, contractuels,…) et Forces armées et polices, en dépit du niveau des égalités dans les formations académiques, leurs postes de responsabilité, leurs catégories et les numéros indiciaires. Beaucoup y voient des conséquences dans l’inflation qui va se généraliser pour atteindre l’immobilier et les autres transactions.
Pour la plateforme de l’intersyndicale dénommée la Cameroun Work Forum (CAWOF) si ce Décret présidentiel est conforme au communiqué du SG/PM, il ne règle aucun problème. « Car le caractère unilatéral de cette décision sans consulter les partenaires sociaux contrairement à ce qui a été indiqué dans le communiqué du SG/PM est un passage en force pour imposer ce qui était présenté comme la proposition du gouvernement ». Et d’ajouter que « Si on essaie de voir le pourcentage de la hausse du prix du carburant à la pompe où le taux d’augmentation est près de 20%. Si en guise de compensation on revalorise les salaires que de 5,2%, c’est une véritable moquerie et une provocation à la limite ». La Confédération Syndicale du Secteur Public (CSP) que dirige le président Jean-Marc Bikoko, fait observer que : « Si on se souvient qu’en novembre 1993, les salaires de ces agents avaient été revus à la baisse de plus de 70%, et que quelque mois après le francs CFA avait été dévalué de 50%, vous comprenez qu’aujourd’hui qu’on dise qu’en guise de compensation, voilà ce qu’on offre comme augmentation de salaire mensuel en 2023 après celle insignifiante de 2008, il y’a de quoi choquer les bénéficiaires». Mieux encore, la CSP a décidé de nous faire parcourir le décret en question, pour nous faire découvrir ce qu’elle qualifie « d’une autre abomination ». Précisant que « dans le secteur public, la grille des salaires montre clairement que le salaire des personnels civils comparé à celui des hommes en tenue, c’est deux mondes différents ».
Les inégalités inextricables
La CSP va faire remarquer que la grille de salaire présenté par le décret présidentiel permet de constater que le personnel relevant du Code du travail, est le parent pauvre du secteur public. Dans sa 1ère catégorie, on lui applique déjà le SMIG à 41 875 FCFA, et dans sa 2è catégorie, le personnel à la catégorie et l’échelon le plus élevé, c’est-à-dire qui correspond aux cadres supérieurs de fin de carrière est à seulement à 247 000 FCFA. Pendant que le personnel de l’administration pénitentiaire, de la dernière catégorie qui est l’indice 1300 à un salaire de 535 47 FCFA. Plus grave, le personnel civil que sont les enseignants, les professeurs d’Université, les médecins et autres, à l’indice 100, ils gagnent 48 702 FCFA, pendant que les Gardiens de prisons au même indice gagnent 55 421 FCFA. Et les cadres supérieurs du personnel civil qui sont à la fin de leur carrière à l’indice 1400, qui est supérieur de l’indice 1300 suscité ont pour salaire 355 278 FCFA. Le fossé de la disparité est encore plus grave, au niveau des militaires. Faisant mentir ceux qui croyaient que les magistrats étaient logés à la meilleure enseigne, alors qu’eux aussi sont au même niveau que les enseignants. A l’indice 1400 de fin de carrière, le magistrat le plus élevé gagne 355 278 FCFA.
Or, au niveau des militaires, pendant que les nouvelles recrues, qui sont les hommes de troupe, sans grade, sans formation, sans matricule, ont 37 828 FCFA, le Caporal-chef gagne 175 400 FCFA et les officiers de l’Armée et la Gendarmerie à l’indice 165, soit le plus bas, gagne 90 963 FCFA, et voit leur indice supérieur s’achever à l’indice 1600 et gagne 639 741 FCFA alors que les autres corps ont pour indice supérieur 1400. Il en va de même pour la police dont le personnel à l’indice 100 le plus bas gagne 55 421 FCFA, mais celui à l’indice 1400 qui est le plus élevé, gagne 570 189 FCFA. Un exemple de comparaison indiciaire met en exergue cette énorme disparité entre les hommes en tenue et les civils. A l’indice 740, alors que le fonctionnaire de police et le fonctionnaire de l’administration pénitentiaire gagne un salaire de base : 340 768 FCFA, le fonctionnaire civil et enseignant gagne un salaire de base : 229 774 FCFA. Soit une différence de : 110 993 FCFA. Au regard de cette analyse comparative, le président de la CSP de s’interroger : «Qu’est-ce qui peut justifier cette disparité dans un secteur qui est la fonction publique où tout le monde est égale ? Pourquoi les hommes en tenue sont aussi bien traités que les autres ? » Et d’en déduire que «Cette disparité est une injustice que nous ne pouvons pas tolérer. La fonction publique où on élabore les politiques publiques et où on doit motiver le personnel pour que tout son génie soit mis en œuvre pour avoir un bon rendement est sous-traité et il n’y a que les Forces Armées et Polices qu’on motive, évidemment pour qu’elles répriment davantage les populations qui vont oser user de toutes les libertés que leur confèrent les lois de la République et les conventions internationales ratifiées».
Pour la CAWOF, dans ce décret présidentiel du 6 mars 2023, elle y voit une volonté manifeste malicieuse du gouvernement de valider le montant du SMIG, or elle soutient que «Nous disons et pensons que le SMIG est encore en négociation et par conséquence n’est pas encore validé, parce que l’avis de la Commission Nationale Consultative du Travail n’a pas encore été obtenu, ils veulent passer en force. Le Smig de 41875 FCFa est une autre insulte au peuple Camerounais». Pour le Président de la CSAC, Jean Marie Ndi : «Le barème que vous voyez dans ce décret n'est en aucun cas le SMIG tel que prévu par l'article 62 que la grille de salaires catégorielles décidées dans la fonction publique. Le SMIG n'a ni catégorie, ni d'échelon. Ne vous laissez pas embarquer dans cette manœuvre distrayante ». Et de poursuivre : « Pour les travailleurs du secteur public après les 5,2% annoncés. Je répète que ce n'est pas le SMIG, mais une grille salariale par catégorie et échelon. Et que le SMIG à intervenir s'appliquera également sur eux. C'est l'objet de tout ce qui est fait aujourd'hui. Il avaient déjà tout prévu, sauf l'inconnu de notre résistance ».
Mathieu Nathanaël NJOG
Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
www.lecanardlibere237.com
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